S.M.A.R.T. : quand le management toxique progresse au sein de l’Éducation Nationale

Les personnels de l’Education subissent déjà depuis quelques années les méfaits des techniques de management qu’ont déjà éprouvé le privé et les autres fonctions publiques : évaluations d’établissements, pédagogie de projets, pressions hiérarchiques, valorisation de la performance par les primes, rémunération au mérite, multiplication des injonctions contradictoires, augmentation des réunions imposées, délégation de l’autorité des IEN aux directeur-ices d’écoles, accroissement des postes à profil nécessitant des entretiens individuels…

Les personnels sont devenus peu à peu des ressources humaines. Ce vocabulaire n’est pas anodin. Il dépersonnalise les agents en faisant de ces travailleur-euses, des ressources qui peuvent être utilisées, déplacées, mobilisées, inter-changées ou remplacées pour atteindre des objectifs. C’est ainsi que l’on a vu apparaître des DRH et des RH de proximité dans toutes les académies. En parallèle, les instances paritaires traitant des mutations et des changements de postes des agents au sein desquelles siégeaient les représentant-es syndicaux-ales ont disparu, laissant ainsi l'inspection académique et le rectorat œuvrer à leur guise en toute opacité.

L’arrivée des nouveaux programmes et le lot de pseudo-formations et de réunions qui les accompagnent, permet à l’institution de poursuivre la gestion managériale des agents. En effet, comme SUD éducation l’avait prévu et annoncé dès leur mise en application, les évaluations nationales, qui se sont progressivement généralisées à quasiment toutes les classes, sont devenues des outils de comparaison et de mise en concurrence des établissements, des enseignant·es et des élèves permettant ainsi aux chef-fes de culpabiliser et d’exercer une pression supplémentaire sur les personnels. Des graphiques (comme celui qui suit) sont apparus dans les formations des enseignant-es et les réunions des directeur-ices.

Synthèse des retours des évaluations nationales : Mathématiques au niveau du bassin

Ainsi les résultats des évaluations nationales, qui avaient été présentées comme un outil pour aider les enseignant-es à cibler les difficultés des élèves, deviennent des supports pour exposer aux yeux de tou-tes, les performances des équipes pédagogiques.

D’une part, ce procédé infantilisant pour les enseignant-es, confère aux évaluations une légitimité qui n’est pas absolument pas avérée. Bien au contraire, le moment choisi pour faire passer les évaluations (dès les premiers jours de la rentrée scolaire après deux mois de vacances), la quantité et la densité de la batterie d’exercices, le stress engendré par le procédé, l’inadaptation des évaluations standardisées au profil de nombreux-ses élèves, la diversité des modes de passation entre les établissements, la sur-évaluation ou l’absence d’évaluation de certaines compétences font de ce dispositif un outil mal adapté. Cet outil est d’ailleurs largement critiqué car peu utile aux enseignant-es pour aider leurs élèves.

D’autre part, la projection de statistiques globalisantes et comparatives indiquant le positionnement d’un établissement, d’une circonscription, d’un département ou d’une académie par rapport à des moyennes locales ou nationales, non seulement n’apporte aucune aide aux professeur-es pour comprendre comment pallier les difficultés de certain-es de leurs élèves, mais au contraire les rendent responsables des résultats d’un ensemble de classes et/ou d’établissements.

Ainsi, lors de ces réunions ou formations, une fois leur responsabilité établie, les personnels sont alors priés de réfléchir : comment être plus performants et faire progresser les élèves ? Il leur est demandé de questionner leurs pratiques, leurs projets, leur investissement et leur pédagogie. A aucun moment, les moyens alloués par le ministère, les conditions de travail, les profils particuliers de leurs élèves, les effectifs, les absences non remplacées, les locaux, le matériel à disposition, la formation des personnels, les directives ministérielles ne sont envisagés comme causes des difficultés ou comme moyens d’agir pour aider les élèves à progresser.

Depuis cette année, lors des formations consacrées aux nouveaux programmes, après avoir présenté ou parfois tout simplement envoyé par mail, une impressionnante liste de références, de sites, de supports pédagogiques, de vidéos….(à consulter en deux heures pour ensuite en discuter et construire une progression d’établissement en quatre heures avec les collègues !), les IEN demandent aux enseignant-es de définir puis de leur présenter des objectifs SMART en s’appuyant par exemple sur ce tableau, présenté et envoyé aux écoles de circonscriptions de l’Allier.

Cet acronyme (pour objectif Spécifique Mesurable Atteignable Réaliste Temporellement défini) introduit une technique managériale pratiquée depuis longtemps dans le privé pour optimiser les performances des employé-es. Si on cherche la référence de ce concept sur internet, on comprend très vite ce qui se cache derrière. Il s’agit de « définir des objectifs efficaces pour votre entreprise », de « fixer de bons objectifs et les faire comprendre à vos équipes tout en les motivant. » On peut lire « que ce soit pour améliorer votre chiffre d’affaires, optimiser votre gestion de projet ou affiner votre stratégie marketing, cette approche vous permet de structurer vos objectifs avec précision. » Tout un programme ! Bien loin des valeurs et du rôle d'un service public d'éducation.

L’acronyme S.M.A.R.T (pour malin, intelligent) a été proposé par George T. Doran dans la revue Management Review en novembre 1981. Il s’agit pour son concepteur « d’accompagner les cadres, dans le monde de l’entreprise, à l’écriture et la détermination d’objectifs » avec pour ambition de « permettent de définir des buts et des KPI (indicateurs clés de performance) ». Nos indicateurs de performance étant, dans l’Education Nationale, les résultats aux évaluations nationales.

Souhaitons-nous être des ressources humaines mobilisées pour atteindre des objectifs de performance ? Est-ce pour cela que nous avons choisi d’enseigner et/ou d’accompagner les élèves tout au long de leur scolarité ?

SUD éducation appelle les personnels à ne pas se laisser enfermer dans une démarche managériale qui nous éloigne de nos missions premières : faire réfléchir, émanciper, instruire et rendre autonomes les élèves. Les techniques managériales détériorent les conditions de travail des agent·es et font reporter sur les personnels la responsabilité des difficultés des élèves. Mais pour les aider, ce ne sont pas des évaluations utilisées au service d’une culture de la performance et de la compétition qu’il nous faut. Nous avons besoin au contraire de plus de temps de concertation pour travailler en équipe, d’une liberté pédagogique garantie, de formations de qualité répondant à nos besoins, d’une baisse des effectifs par classe et de moyens pour rendre l’école réellement inclusive.